Accident de la circulation et perte de chance de gains professionnels futurs : preuve quand tu nous tiens

L’indemnisation du préjudice professionnel, pour les victimes de dommages corporels devenues inaptes à l’exercice de leur profession, demeure depuis toujours la question aussi essentielle que discutée dans l’évaluation et la liquidation du préjudice corporel.

Si la nomenclature DINTHILLAC opère une distinction d’apparente évidence en distinguant d’une part la perte de revenu concrète via le poste de perte de gains professionnels futurs, de toutes les incidences périphériques (majoration de la pénibilité, dévalorisation), via celui de l’incidence professionnelle, force est de constater que la réalité est plus subtile.

SI fort heureusement, au regard de la nouvelle mobilité permettant à un pilote de ligne d’être également boulanger, aucun parcours professionnel ne plus être considéré comme figé, comment indemniser intégralement une victime soit ne travaillant pas lors de l’accident, soit engagé dans un parcours de formation pour évoluer professionnellement ?

Les faits jugés par la Cour d’appel de Grenoble le 19 mars 2024 ( 21/05216) s’inscrivent dans cette problématique. En l’espèce, une jeune femme est victime d’un accident de la circulation de la région de Valence et se retrouve polytraumatisée.

Cette dernière, auxiliaire de vie à temps partiel, s’était engagée dans un parcours de formation pour devenir éducatrice de jeune enfant mais sans avoir encore passé le concours d’entrée à l’Ecole spécialisé.

Licenciée pour inaptitude, elle avait courageusement retrouvé un poste de secrétaire médical à temps partiel.

Après avoir tenté une démarche amiable avec l’assureur du véhicule impliqué dans son accident de la circulation, cette dernière a saisi le Tribunal judiciaire de Valence d’une demande d’indemnisation de son préjudice corporel.

Le Tribunal judiciaire de Valence n’ayant pas fait droit à l’ensemble de ses demandes, la Cour d’appel de Grenoble fut saisie.

Face non pas à une profession souhaitée et non concrètement exercée, la question de l’indemnisation de la perte de revenue est juridiquement très encadrée. La Cour de cassation juge de manière constante qu’il n’est pas possible d’indemniser une victime de dommage corporel d’une perte de revenu hypothétique ( Cass civ 2 ; 30.11.2023 n°22-16.850) mais qu’en revanche si le parcours de cette dernière est suffisamment étayé, l’indemnisation d’une perte de gains professionnels futurs est possible au titre d’une perte de chance ( Cass civ 2 ; 16.09.2021 n°20.10.712).

Concrètement l’indemnisation se fera sur la base d’un pourcentage du revenu espéré :

« La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.


5. S’il est certain que Mme [Y] se trouve, en raison de l’accident, privée de toute possibilité d’exercer une activité professionnelle, ce préjudice, en ce qu’il repose sur une analyse probabiliste de ce qu’aurait pu être la vie professionnelle de la victime et son évolution en l’absence du fait dommageable, consiste en la perte d’une chance dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.


6. C’est ainsi, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, ayant relevé qu’à la date du dommage Mme [Y], qui était étudiante, ne percevait aucun revenu, a pu estimer, au titre du préjudice de perte de gains professionnels futurs, qu’il résultait du niveau scolaire de la victime, entrant à l’âge de 20 ans en deuxième année d’études supérieures, un préjudice indemnisable à hauteur de 60 % de chances d’accéder à un emploi rémunéré au niveau du salaire revendiqué dans la profession de psychologue clinicienne, à laquelle ses études la préparaient. ».

(Cass civ 2 ; 16.09.2021 n°20.10.712).

Tout est donc une question d’espèce et de preuve tant sur la probabilité d’accès, suite au dommage corporel consécutif à l’accident de la circulation, à la profession d’éducatrice jeune enfant, que sur l’évaluation du revenu de référence de cette profession.

Or, malgré une reconnaissance d’une part du caractère volontaire de la victime dans les suites de son accident de la circulation et d’autre part de la sincérité de son envie d’évolution professionnelle, la Cour d’appel juge, comme le Tribunal judiciaire de Valence, cette perspective trop aléatoire et confirme le jugement :

« Le tribunal a reconnu la perte de chance qu’avait subie Mme [B] de pouvoir accéder à cette formation, mais il l’a considérée comme peu importante du fait de la faible probabilité de réussir les sélections, 74 % des candidats admis disposant d’un baccalauréat ES, L ou ST2S, alors que Mme [B] disposait d’un baccalauréat Accompagnement soins et services à la personne en structure. Il a reconnu en outre que Mme [B] avait retardé son entrée dans la vie active de quelques mois et lui a alloué une somme de 4 000 euros pour ce poste de préjudice.

Si la formation suivie par Mme [B] démontrait son goût pour le service à la personne et rendait cohérent son choix quant à la formation visée, (elle est titulaire d’un BEP service aux personnes, d’un CAP Petite enfance et du baccalauréat visé ci-dessus), il convient de valider le raisonnement des premiers juges quant à la probabilité faible qui était la sienne, de réussir l’accès à l’Ecole [10]. ».

Dès lors, la demande d’indemnisation d’une perte de chance de gains professionnels futurs nécessite l’établissement d’un dossier complet, précis et concret. De simples statistiques ne peuvent suffire. Cela passe notamment par la démonstration de l’obtention de diplômes, du justificatif du suivi de formation, de la démonstration d’une potentialité de réussite dans un domaine et la justification d’un revenu de référence ( notamment par des professionnels du même secteur).

Le cabinet Anaé avocats, spécialisé en droit du dommage corporel et inscrit dans le ressort de la Cour d’appel de Grenoble (Grenoble, Bourgoin Jallieu, Valence, Gap et Vienne) met a votre disposition son expérience et sa compétence pour vous assister et vous accompagner dans toutes les étapes de l’indemnisation de votre préjudice corporel.

Thibault Lorin

Avocat associé – spécialiste en droit du dommage corporel