Inaptitude professionnelle partielle et perte de grains professionnels futurs, le match continue…

(L’incertitude est soit disant source de beauté et de tragédie dans nos vies…)

Cela étant, il convient que de déplorer que la jurisprudence actuelle, s’agissant de l’indemnisation du préjudice professionnel des victimes de préjudices corporels consécutifs à un accident devient de plus en plus rigide et évolutive au fils des années.

Cette source d’incertitude, sur le traitement opéré lors de l’évaluation et l’indemnisation de leur préjudice, indépendamment des considérations théoriques pertinentes ou non qui peuvent les gouverner, majore l’angoisse de ces dernières.

Le traitement de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, d’une victime inapte à son travail, mais non inapte à toutes professions, en est la démonstration la plus criante.

Lors d’un dernier article, nous avions déjà abordé cette question.

Or, par un arrêt du 6 juillet 2023 (n° pourvoi 22-10.347) la 2e chambre civile de la Cour de Cassation confirme l’impossibilité d’indemnisation d’une perte de gains professionnels futurs totale, pour une victime inapte à son travail, mais non à toutes profession.

Au cas d’espèce, un jeune cariste, sous contrat de travail à durée indéterminée, est licencié pour inaptitude, consécutivement à un accident de la circulation, entraînant des séquelles ne lui permettant plus d’exercer son métier.

Lors de l’expertise, il est convenu de cette impossibilité de reprendre son activité antérieure, mais également précisé que la victime demeurait potentiellement apte à l’exercice d’une autre activité, moins rémunératrice.

Appliquant la jurisprudence habituellement réservée aux victimes licenciées pour inaptitude, la victime sollicite une indemnisation totale de sa perte de gains professionnels futurs, indiquant que la privation définitive de l’exercice de son métier entrainée une telle perte.

La Cour d’Appel de VERSAILLES fait droit à sa demande, appliquant les règles, jusque là réservées aux situations de victimes licenciées pour inaptitude.

Cela étant, sur Pourvoi de l’assureur, la Cour de Cassation casse l’arrêt au regard d’un attendu de principe :

« Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime : Il résulte de ce principe que la victime d’un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d’exercer une activité professionnelle. »

Convenons que le mérite de cet arrêt est d’apporter une réponse précise à une situation de plus en plus soumise à l’appréciation des juridictions.

Il est maintenant acté, par la 2e chambre civile de la Cour de Cassation, que seule une inaptitude totale et définitive, à toutes activités professionnelles, entrainera la possibilité pour une victime de dommages corporal, de solliciter une indemnisation totale de sa perte de grains professionnels futurs.

Cela étant, il convient de se préserver d’une lecture trop rapide de cette décision.

Toute d’abord, la Cour de Cassation invite indirectement, mais surement, les victimes, licenciées pour inaptitude, à solliciter une perte de chance de perte de grains professionnels futurs.

L’interdiction ne concerne que la perte totale de gains et non le post de préjudice distinct que représente une perte de chance.

Les conseils des victimes devront en cela être très prudents, puisque cette décision est à mettre en regard avec l’arrêt rendu par la même composition de la Cour de Cassation le 25 mai 2023 (n° pourvoi 22-11.500), où la haute juridiction avait bel et bien précisé que la demande de perte de chance devait être distincte de celle de la perte intégrale.

Surtout, et cette précision apparaît de la plus importance, une apparence d’aptitude physiologique à l’exercice d’une activité professionnelle n’implique pas automatiquement la possibilité, pour une victime d’exercer une autre activité rémunérée que la sienne.

Tout sera dorénavant une question de contexte.

A titre d’exemple : une victime exerçant une activité extrêmement spécifique, dans un contexte particulier, ne peut être, par principe, reconnue apte à toutes autres professions.

Les exemples sont nombreux, et il ne s’agira pas ici de tous les énumérés, pour ne pas tomber dans une caricature éloignée de l’exigence que nécessite cette matière.

Cependant, il est souhaitable de convenir que certaines victimes, bénéficiant de capacités intellectuelles, ou sensorielles, extrêmement précises, essentielles à l’exercice de leur métier, n’arriveront pas à s’adapter à un emploi réservé aux personnes handicapées.

Dans ces considérations, il appartiendra à l’occasion de l’expertise, ou au magistrat de démontrer que l’inaptitude de la victime est totale, nonobstant une apparente possibilité physiologique.

Il appartient dorénavant à l’ensemble des conseils de victime d’accident corporel de muscler leur argumentation, tant devant à l’occasion de l’expertise, que devant les juridictions.

Le licenciement pour inaptitude ne suffit plus, mais pourtant il ne convient pas de conclure de cet arrêt l’impossibilité définitive pour une victime physiologiquement apte à l’exercice d’un métier quelconque d’être privée d’une perte de grains professionnels futurs totale évaluée sur un métier très précis, et particulier, que cette dernière exercée.

Finalement, il ne s’agit ici, comme toujours, que de réparation intégrale.