L’indemnisation de la perte de gain professionnel futur, d’une victime d’un dommage corporel, est une question essentielle de son processus indemnitaire, notamment en présence d’une perte d’emploi consécutive au fait traumatique.
Si la nomenclature Dintilhac propose une formule d’indemnisation conférent aux mathématiques, à savoir l’indemnisation de la différence nette de revenus, entre ceux perçus et ceux perçus après l’accident, force est de constater que la réalité, et c’est heureux, est considérablement plus colorée.
Les victimes devenant, consécutivement à un accident, inaptes à toutes professions, seront naturellement indemnisées de manière viagère des gains qu’elles percevaient, comme fruits de leur travail, avant cet accident, et dont elles se retrouvent, dorénavant privées.
La difficulté essentielle repose sur les victimes dorénavant inaptes à leur profession, mais pas à toutes professions.
La Cour de Cassation, dans l’ensemble de ses formations, n’a au cours de ces dernières années pas pu traduire une position extrêmement franche et nette sur cette problématique.
Par un arrêt du 26 mars 2015 (n°14-1611) de la 2e Chambre Civile, il avait été statué qu’en application du principe de mitigation selon lequel la victime n’a pas à réduire son préjudice dans l’intérêt du responsable, un licenciement pour inaptitude prononcé par le Médecin du travail s’imposait à la juridiction.
Dans cette occurrence, une perte de gains professionnels future, viagère, calculée sur la base du salaire antérieurement perçu était allouée aux victimes.
En revanche, dans la situation où une victime, consécutivement à son licenciement pour inaptitude, avait pu retrouver un emploi moins rémunérateur, et cela même de manière partielle, l’indemnisation se faisait sur la base du différentiel entre ce qu’elle gagnait avant, et ce qu’elle avait gagné provisoirement (Cassation Civ. 2e 6 février 2020 n°19-12779).
Cela étant, force est de constater qu’une évidente résistance des Cour d’Appel, peu enclines à indemniser viagèrement la perte de gains de l’ensemble des victimes licenciées pour inaptitude, a conduit la Cour de Cassation à amender sa position.
Il convient de considérer dorénavant qu’une victime inapte à sa profession, mais conservant néanmoins un potentiel de gains, doit être indemnisée sur la base du déférentiel entre sa rémunération antérieure à l’accident et la potentialité de gains que lui confère sa capacité résiduelle.
La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a validé ce raisonnement de prise en compte d’un potentiel de rémunération, en validant une indemnisation globale de perte de gains professionnels futurs, par une Cour d’Appel, face à une inaptitude spécifique, se retranchant derrière l’appréciation souveraine des Juge du fond et la possibilité pour ces derniers ne pas avoir à communiquer leur mode de calcul indemnitaire (Crim. 31 mai 2023 n°22-84.247).
Il convient de considérer que cette position est assez malheureuse, et contraire aux principes régissant la matière, la Cour de Cassation, indépendamment de l’indemnisation de la perte de gains, prohibant toutes indemnisations forfaitaires.
Par ailleurs, la 2e Chambre Civile dans un arrêt du 24 novembre 2022 n°21-17323, a infirmé un arrêt de Cour d’Appel ayant indemnisé viagèrement une victime inapte à sa profession de coiffeur, reprochant au Juge du fond de ne pas avoir recherché cette dernière demeurée apte à exercer une quelconque activité professionnelle.
Il ne faut pas pour autant tenir pour acquis qu’il appartiendra dorénavant au Juge du fond de retrancher des gains antérieurement perçus à l’accident, ceux que pourrait, potentiellement, continuer à percevoir la victime.
Effectivement, la lecture d’un arrêt du 16 janvier 2020 n°18-24847 de la 2e Chambre Civile de la Cour de Cassation amène à plus de prudence.
Dans cet espèce, le salarié, métallier chaudronnier, licencié pour inaptitude, consécutivement à un accident, avait tout mis en œuvre pour essayer de trouver un emploi adapté à sa capacité résiduelle.
N’ayant pu obtenir une nouvelle rémunération, la Cour de Cassation a validé le principe d’une indemnisation totale de sa perte de gains professionnels futurs, entre la consolidation et le jour de sa décision, laissant ainsi sous-entendre que pour l’avenir il appartenait en revanche au Juge du fond de retrancher un potentiel de rémunérations.
Cela étant, ces articulations jurisprudentielles, extrêmement techniques, s’accordent mal avec une réalité évidente : l’exercice d’un emploi mêle considérations économiques, mais également humaines.
Ne plus pouvoir exercer l’activité professionnelle, pratiquée depuis des années, pour laquelle une victime a été formée, s’est investie, complexifie énormément le principe même de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs.
Cette situation de faits et d’inaptitude professionnelle revient à la perte d’une partie de son identité, préjudice pouvant être majorée si la victime est contrainte à exercer une activité professionnelle totalement éloignée de son essence et de sa personnalité.
C’est pour cela que toute situation d’inaptitude professionnelle, à sa profession, doit être appréciée avec la plus grande rigueur.
De nombreuses victimes ne pouvant plus exercer le travail pratiqué auparavant, se retrouvent, en réalité, inaptes à toutes professions, dès que la reprise d’une activité, certes rémunératrice, mais totalement contraire à son parcours, peut s’avérer plus préjudiciable encore.
C’est donc au cours de l’expertise, ou par la voie de rédaction de dires, qu’il convient de démontrer, détailler et de prouver que la situation d’une victime inapte à sa profession équivaut à une inaptitude totale, si cela est le cas.
Il ne faut pas oublier, comme cela est trop souvent reproché, que la majorité des victimes d’accidents corporels sont elles-mêmes volontaires et veulent rapidement retrouver un emploi.
Les situations où ces dernières se trouvent au jour de la décision, sans l’exercice d’emploi, ne traduit pas un choix de leur part, mais bien une impossibilité.
C’est une donnée quoi doit justement être considérée pour que l’inaptitude professionnelle ne soit pas qualifiée de partielle, mais bien de totale.
Ainsi, la perte de gains professionnels future viagère retrouve toute son office.